Je considère la poésie avant tout comme une façon de jouer avec les mots, en respectant cependant deux règles: les rimes et la danse syllabique. J'ai taché, tout du moins pour les poèmes figurant sur l'Acte 2, d'appliquer cette règle, en poussant parfois à la confusion dans l'enchaînement des séquences.
L'ensemble de ces poèmes furent écrits entre juillet et Octobre 2002 en Argentine. Sur moi, je n'avais qu'un modeste carnet et une mine 4H, pas de dictionnaire et autres ouvrages permettant d'aider à la recherche du mots justes. Ces poèmes sont nés quasiment instinctivement, comme ça, après mince réflexion et brusque acharnement. Parmi eux, quelques uns sont en espagnol, d'autres ont été intégralement improvisés (C'est à dire en ne revenant jamais sur ce qui avait été écrit), mais la majorité d'entre eux ne sont que le fruit de ce qui ce passait dans cette exubérante Argentine.
Je vous propose 11 poèmes à leur lecture, sur les 89 présents dans l'ouvrage final. Vous pourrez vous donner un bon aperçu de ce à quoi ressemble mon travail d'écriture dans ce domaine N'oubliez pas que le livre, dans son intégralité, est disponible en téléchargement. Ce recueil, à sa conclusion, avait une valeur, mais cette valeur s'en est trouvée totalement modifiée à la suite de la rédaction de mon troisième ouvrage: "Marre de Celle Là" (https://marre-de-celle-la.ampprod.fr) achevé à la fin de l'année 2006, qui, on peut le dire, raconte la véritable suite de "En Attendant la Patagonie". La signification de chaque poème, et donc de leur agencement, s'en sont trouvés perturbés, l'impacte final n'est plus la même, l'histoire n'est plus la même. Bref! je donne, après rédaction de ce troisième ouvrage à "En attendant", une importance décuplée: Asi es...
"Les Andes a Dedo", ainsi se nomme l'acte un:
Une année d'errance sur le hasardeux chemin
De la Liberté; une année d'autostopage
Sur les sinueux sentiers d'Andins paysages;
Une année, et tant de mois flatté par un vent
Unique, omnipotent, créateur d'invariant,
Incessant, éternel, formateur d'informel,
Un vent austral, galvanisateur temporel.
De retour sur le berceau des superlatifs,
Je pris conscience du constat non relatif
Que l'on n'est point prophète sur sa propre patrie:
Je suis donc repartis pour la Patagonie;
Je devais retourner en ce lieu dévoué,
Sur cette terre promise nommée Caviahue,
Ressentir cet air, réécouter ce silence,
M'isoler pour oublier cette décadence.
L'émigration finale forme l'acte second,
Sans folle errance ni même jeu de vagabond;
Mais pour un tas de raisons ma fois fort diverses,
Je fis route vers le Nord, direction inverse,
Sur les prémisses de cette indicible Puna,
Dans cette sublime cité nommée Salta
Et, le climat clamant sa clémence, j'y resta
Plus de trois mois: la Patagonie attendra.
La quasi-totalité des poèmes suivants
Furent rédigés durant cette période sans vent,
Rédigés en attendant la Patagonie
Car l'acte trois, forcément, s'écrira ici,
A moins qu'un en'mi nommé Menem ne la vende,
A moins qu'elle ne devienne le triste couvent de
Déchets radioactifs provenant du Vieux Monde,
A moins cela, mais j'oublie ces idées immondes.
Que sera l'acte trois ? Je ne veux le savoir.
Quand sera l'acte trois ? Je ne peux le savoir.
Mais il sera, il sera la confirmation
De ma propre Sud Américanisation.
La quasi-totalité des poèmes suivants,
Qui ont l'abîme de mes entrailles pour couvent,
Virent le jour brutalement, impulsivement,
Ils virent le jour violemment, instinctivement;
Ils ne sont le fruit d'aucune, d'aucune réflexion;
Ils naquirent de ma mine ainsi, sans autre action
Ni préliminaire attention; ce sont en fait
Les extraits de ce qui trotte dans ma pauvre tête.
Les vers qui suivent ne sont que des vomissements,
Vomissement de mon cerveau, vomissement
De mon cœur, vomissement de ma propre église,
Et puis vomissement de mes mains insoumises.
C’est vrai, avec tort, que je ne suis pas très fort
Dans la conception subtile de la métaphore;
Mais j'ai toujours été, de manière instinctive,
Plutôt doué dans la mise en forme subjective.
Car si je porte des lunettes noires et rondes,
C'est parce que mes yeux, comme mon cœur, aux ondes
Se veulent sensibles, mais surtout parce que ces yeux
Devisent plus que ma bouche et que, silencieux
Préférant être, je les masque par cet obscur
Reflet. Déblatérant peu de paroles impures,
Il faut donc que mes écrits fassent preuve d'une vive
Subtilité, une subtilité subjective.
Il faudra donc porter vos yeux entre les lignes
Si vous souhaitez cerner le sens le plus digne
De mes vomissements; il vous faudra transcrire
Tous ces caractères blancs qui révèlent le pire;
Car l'invisible en dit parfois tellement plus
Que ce visible évident et riche en lapsus,
Même si tout se veut profondément relatif
Dans l'interprétation d'un bien flou subjectif.
Les esquisses accompagnant cette prose amère
Ne sont que des lignes parallèles aux vers;
Elles ont pour sources cette même mine flattée,
Pour ressource cette même impulsivité,
Pour rescousse cet idem tempérament,
Et pour secousse ce même vomissement.
A l'instar de l'acte un, l'histoire d'une fuite,
Elles sont apparues, inconsciemment, à la suite
D'une agitation soudaine de mon bras droit,
D'une transcription massive de mon émoi:
Car elles sont moi, par-dessus tout, même si je semble
Y figurer que rarement dans son ensemble.
Je n'ai jamais, mais jamais aimé m'exhiber,
Même les rares jours où je semblais tituber,
Alors je m'exhibe dans mes oeurvres "bien clean",
Ces quelques lignes nées de ma mine, de mes mines,
Qui révèle plus que ma bouche, mais moins que mes yeux,
Car le mystère doit avant tout jouer son jeu
Et le dominer. Alors bonne lecture, vraiment,
Et n'oubliez pas, tout n'est que vomissement.
C'est mon Hiroshima, mon occulte firmament;
Elle rendit à jamais stérile,
Un jour d'été, à l'auguste ensoleillement,
Mon archipel beau et fragile
Déjà victime d'une multitude de tremblements.
L'impact de ses obus d'un jais de perfection
Et sa mélodieuse traînée
Sur mes cotes protectrices, mais victimes de lésions,
Fut immédiat, instantané,
Direct et brutal, comme toute atomisation.
Cependant, et ce constat se veut probable,
Elle devait végéter, ancrer,
Depuis un nombre incalculable de biennales
En ce Los Alamos secret
Des sous-profondeurs de mon désert cérébral.
Sa mine de little boy à la douce pureté
M'immobilisa en surface;
Et ses lignes, à l'insouciante maturité,
Affrontant les airs avec grâce,
Eurent raison de mon pavillon d'antiquité.
Et lorsqu'elle s'évada de son B-29,
Elle n'orchestra que destruction
N'étalant qu'un sombre et désolant chaos neuf;
Et l'épicentre étant bas pion,
Le nihilisme fut simplement total, bref.
Dévasté au sein de mes entrailles béantes,
Le chagrin ne s'épuise d'un zest
Comme portée par ces radiations agonisantes
Créant, dans mes prunes célestes,
L’écoulement d'une pluie noire et larmoyante.
Elle est mon Hiroshima, une syllabe en moins,
Et elle fit de mon ventricule,
De mon cortex, de mes synapses, de mon destin,
Qu'un simple amas de particules
Qui conjugue ma vie d'un spectral dessein.
L'illusion me tourmente d'un destin improbable,
Tout comme l'eau courante ne peut rester potable:
Le chemin semble tracé comme le fleuve Amazone,
On ne peut effacer l'arrivage d'autres nonnes.
Combien d'étendues vides follement piétinées
Pour que paraisse aride l'estuaire imagé;
Combien de lunes gibbeuses bellement admirées
Pour que sonne hasardeuse la vue d'une pluie d'été.
L'écoulement d'un ruisseau joue un jeu turbulent:
Un va-et-vient qui vaut tous les doutes existants.
La suite ne peut s'écrire tout comme ce jeu d'eau folle,
Mais on peut la décrire si le coeur en raffole.
Des berges du Parana à l'étendue Chaco
Le flou fluvial s'en va vers un défunt chaos.
Mais le but est unique, telle la chute del Angel,
De son plongeon mystique naîtra l'Amour réel.
Je suis mort de troubles psychiques
Lorsque de mes yeux, inondés d'albumines,
Je contempla ses formes chimériques et divines.
Je suis mort d'un percutant tremblement
Lorsque son corps anorexique et battant
Vint palper mon coeur fragile et cassant.
Je suis mort d'une noyade incestueuse
Lorsque je m'immisça, sans aucune hésitation,
Dans ce fleuve larmoyant donateur de frissons.
Je suis mort d'une morsure vampirique
Lorsque ses lèvres, parfumées d'ambroisie,
Rependirent sur mon cou un pourpre coloris.
Je suis mort d'un arrêt cardiaque
Lorsque je faufila mon index onguleux
Or de son isocèle d'un brin calineux.
Je suis mort le dos perforé
Lorsque ses phalanges, symbole de tendresse,
Plongèrent leurs ongles à hauteur de mes fesses.
Je suis mort subitement étouffé
Lorsque j'éternisa mon langoureux baisé
Sur ses seins devenus soyeusement galbés.
Je suis mort d'une overdose de sueur
Lorsque, frottant mes nasaux sur cette sublime esquisse,
Je me fis paresseux à hauteur de ses cuisses.
Je suis mort le tympan fissuré
Lorsque son cri, ciselant l'air moiteux,
Transforma mon âme en un songe vaporeux.
Il possède tous les symptômes du parfait bourrin:
Il est con, gros, violent, stupide, acéphalique,
Un tantinet fasciste, en un mot un bourrin,
Une belle erreur de la conception génétique.
Il a les biceps d'un trappeur du Canada
Mais son coeur est plus froid que le Manitoba;
Il a la force d'un buffle, mais le cerveau bien plat.
Ses paroles sont le parfait berceau d'une profonde
Ignorance de tout ce qui compose notre monde,
Son savoir n'est que vocabulaire immonde.
Si c'était un nain, ce serait grincheux,
Si il était un Schtroumf: Schtroumf grincheux.
Toujours à grogner ce débris fâcheux.
Il n'est jamais content, râle sans cesse,
Frappe du poing sur la table pour que l'on cesse
De contredire les miaulements qu'il professe.
Toujours en train de renifler sa morve flétrie
Et lorsqu'il crache, il génère un vacarme meurtri
Pour évacuer son mollard de déchetterie.
Son ronflement surpasse celui d'une moissonneuse
Et de ses badigoinces atrophiées et visqueuses
S'éjacule une substance infecte et baveuse.
Il possède tous les symptômes du parfait bourrins
Et partage sa vie avec une Déesse latine,
L'emblème plus que parfait de la beauté divine.
Alors, je hais ou je jalouse ce gros bourrin?
Il expose son ceinturon rehaussé du manche
De son couteau et se poste, les mains sur les hanches,
Telle une statue, droit et fier comme un Comanche.
Après toute action, il se gratte la tête;
Pour se congratuler, il remet sa casquette
Avec lenteur prouvant sa maîtrise des faits.
Il est aussi graisseux qu'un éléphant de mer;
A chacun de ses pas, il semble crouler par terre
Qu'il génère pitié, comme tant de maux solitaires.
Sous sa chemise entrouverte se distingue une couche
Capillaire humide et lubrifiée qui accouche
D'une sueur pestilentielle aimée des mouches.
Il est vêtu comme le pire des gueux:
Aussi poussiéreux, plâtreux et dégueux,
A croire que l'hygiène, chez lui, n'est qu'aveux.
Il n'arrête jamais de se gratter,
De triturer sa molle chaire ballottée
D'une puanteur abjecte à dégueuler.
Il possède tous les symptômes du parfait bourrins
Et il habite avec la source de mon chagrin.
Alors, je hais ou je jalouse ce gros bourrin?
Non, je le hais, je le hais au plus haut point.
Oublie tous tes frères et soeurs,
Oublie ta famille,
Oublie pour qui bat ton coeur
Et noie tes pupilles,
Oublie les tous, n'ai pas peur.
Oublie tous ceux qui t'entourent,
Oublie tes amis,
Oublie tes maîtres, tes amours
Et tes ennemis,
Oublie-les tous pour toujours.
Oublie aussi ton enfance,
Oublie l'albumine,
Oublie ta date de naissance
Et tes origines,
Oublie en toute conscience.
Oublie toutes tes passions,
Oublie tes envies,
Oublie toutes ces émotions
Qui ont fait ta vie,
Oublie tout sans concession.
Oublie ton faux quotidien:
Cette vie si rude;
Oublie ton petit train train
Et tes habitudes,
Oublie tout, ça ne vaut rien.
Oublie l’environnement,
Oublie tous ces clips,
Oublie ce déferlement
D'images qui t'agrippe,
Oublie ce media qui ment.
Oublie tout ce qu'on t'a dit,
Tout n'est que mensonge,
Oublie cette comédie,
Elle est le mensonge,
Oublie tous ces mots maudits.
Oublie tout et pars!
Pars élargir ta vision,
Pars loin d'ici, pars!
Vers de nouveaux horizons.
Pars! N'oublie pas, pars!
Pars loin de ces gens,
Ils ne sont que société,
Pars loin des agents
De cette incivilité,
Fuis ses dirigeants.
Pars avec aisance,
Pars défier cette nature,
Son vent, sa démence,
Son altitude, sa verdure,
Sa folle puissance.
Pars et vagabonde
Vers de nouvelles contrées
Qui seront fécondes;
Pars afin de perpétrer
La vie dans ces mondes.
Pars! Tu trouveras.
Quoi? je ne le sais pas car
La réponse n'est pas,
Le mystère demeure, mais pars
Et tu trouveras.
Il y a des gens qui, pour oublier
Le mirage absurde de leur escalier
Quotidien se terminant en spirale,
Inondent leurs reins du Dieu éthylique
Afin de beaucoup mieux dégobiller
Par ce déféqueux purgatoire buccal
Et dans cette albâtre cuve périodique,
Toutes leurs frustrations et leurs paniques,
Leurs misères et leurs pauvretés sociales.
Il y a des gens qui, pour s'égailler
Dans un monde informel, appareillé,
Contaminent dans l'artifice et blessent
Leurs neurones, alors devenues flexibles,
Afin de beaucoup mieux dégobiller
Leurs iris dévoués à la paresse
Et se rendre, de façon indescriptible,
Aveugle et sourd, en un mot insensible,
A toutes ces pressions qui les compressent.
Il y a des gens qui, pour effrayer
La perfection d'un silence prié,
Abreuvent leur bouche d'infinis blasphèmes
Que les actes ne seraient dominer,
Afin de beaucoup mieux dégobiller
Leur haine indéterminable et suprême
Les conduisant au chemin deviné,
Et trouver la réponse imaginée
A tous leurs insupportables problèmes.
Domestiqués et très bien infectés,
Ces gens sont intégrés et respectés.
Moi, j'ai décidé de dégobiller
Tout ce qui trotte dans ma pauvre tête
Par des lignes fécondes d'unité
Et par des mots qui veulent être empaillés.
Inconforme, il faut donc que je m'apprête,
Comme le pensait, jadis, Epictète,
A être sur-le-champ, pour toujours, raillé.
Alors que je flânais en cette heure matinale,
Bercée plus que jamais par une bise délicate,
Dans les artères piétonnes de Salta Capitale
Où le rouge résonne d'un éclat écarlate;
Mes pas fébriles croisèrent la démarche langoureuse,
Egale à une panthère, d'une jeune collégienne
Aussi haute que fine, aussi belle que gracieuse,
D'une effroyable mine et vêtue comme une reine:
Sombre et courte jupette, cravate tourbillonnante,
Blafarde chemisette, satinés mocassins.
Elle transforma la rue en entité vacante
Où seule sa tenue rayonna le lointain.
Avec ses mèches au vent et son corps de nymphette,
Elle me parut sortant d'un manga du U Jin;
Mais sa peau matte et tendre, et ses prunes noisettes
Me fit très vitre comprendre qu'elle était une latine.
Elle me lâcha alors de ses orbes d'ébènes
Son regard destructeur, comme on largue sans conscience
Une bombe atomique, et elle fit de mes veines
Les messagers cosmiques d'une ultime turbulence.
Impossible de fuire cette divine hypnose
Qui s'en va conquérir mon esprit tourmenté.
Je pivote ma tête pour assurer ma dose
De cette vision au faîte de l'humaine beauté.
Nous soudâmes nos prunes un semblant éternel
Et sans nulle rancune, elle m'offrit son sourire
Qu'elle désira timide en maintenant ses belles
Canines sur ses limpides lèvres à périr.
A la vue titanesque du chef-d’oeuvre vivant
Je me transforma presque en un bouillant cratère
Pulvérisant ma lave dans ce haut firmament
Pour devenir épave et me fondre en cette Terre
Tu leur demandes du pain frais
Ils veulent te vendre la boulangerie,
Tu leur demandes l'heure qu'il est
Ils veulent te vendre l'horlogerie,
Tu leur demandes un café noir
Ils veulent te vendre le restaurant,
Tu leur demandes juste l'histoire
Ils veulent te vendre tout le roman,
Tu leur demandes qu'un seul billet
Ils veulent te vendre la terminale,
Tu leur demandes un peu de monnaie
Ils veulent te vendre la banque mondiale,
Tu leur demandes de l'eau de source
Ils veulent te vendre cette source,
Tu leur demandes un pamplemousse
Ils veulent te vendre là où il pousse,
Tu leur demandes un peu de presse
Ils veulent te vendre les éditions,
Tu leur demandes une seule adresse
Ils te vendent toutes les directions,
Tu leur demandes du sable fin
Ils veulent te vendre l'Atacama,
Tu leur demandes du raisin
Ils veulent te vendre tout Mendoza,
Tu leur demandes de changer de chaîne
Ils veulent te vendre la cathode,
Tu leur demandes une idée saine
Ils veulent te vendre la Méthode,
Tu leur demandes du papier rose
Ils veulent te vendre la forêt,
Tu leur demandes une seule chose
Ils veulent t'en vendre des milliers,
Tu leur demandes où habiter
Ils veulent te vendre toute la Terre,
Tu demandes la simplicité
Ils veulent te vendre Jupiter,
Tu leur demandes si c'est possible
Je suis allé voir hier,
Juste après la caféine,
Les yeux de ma lavandière
Pour lui léguer ma comptine
De fripes infâmes et usées
Masquées d'un pestilentiel
Arôme. Elle n'a pas osé,
Lors de la prise amoncelle,
Mettre ses sinus en cage,
Mais le rictus prononcé
Qui maquilla son visage,
Comme une preuve annoncée,
Me fit comprendre à quel point
Le temps s'était écoulé
Et m'avait plaqué bien loin
De ces coutumes refoulées.
De sa brosse rose bonbon,
Elle noya de détergent
Les recoins nauséabonds
Sujet à un transpirant
Marquage; puis elle déversa
Ce tas de tissus dotés
D'un vague passé de forçat
Dans ce bassin tourmenté
D'une eau claire qui prend sa source
Sur ces culminantes fraîcheurs
Et qui termine sa course
Entre les doigts caresseurs
De ma pimpante lavandière.
Elle malaxe le textile
Comme une vraie boulangère,
Allégeant le moindre fil
De son surplus adipeux
Et juste après le rinçage
Où elle me fit cet aveu
D'être le contraire d'un sage,
Elle tournoya la ropa
Et l'éclata violemment,
De son geste de compas,
Contre la roche fulminant
Qu'elle hachura d'une vapeur
Aussi concise que furtive.
Elle couronna son labeur
Sous la lumière la plus vive
Et transbahuta enfin
Cette immaculée surface
De la bassine au filin
Avec élégance et grâce.
J'ai fait un rêve: une île à la forme gibbeuse,
Emprisonnée par les courants les plus houleux
D'une mer, perdue, et tellement capricieuse
Que son accès en serait des plus périlleux.
J'ai fait un rêve: une île sous un climat clément,
Au sol fertilisé par sa cime volcanique
Que l'abondance priverait, naturellement,
Toute finalité et destin despotique.
J'ai fait un rêve: une île plongée dans une autre ère,
Sans justice sociale et avenir prescrit
Où tout serait possible puisque rien n'est à faire,
Où tout serait à faire puisque rien n'est écrit.
J'ai fait un rêve: une île sans avant ni après,
Sans argent ni media, sans réseau ni échange,
Où l'unique richesse recensée serait
La richesse de chacun, fruit du plus beau mélange.
J'ai fait un rêve: une île rayonnant dans son vert
Qui s'épanouirait de sa parole mystique
Et non par cet assourdissement militaire
Et cette terrible dictature politique.
J'ai fait un rêve: une île de tranquillité,
A l'allure paisible, où l'Amour partagé
S'exprimerait dans sa plus belle vérité
Sans cette haine et cette souffrance obligées.
J'ai fait un rêve: une île, sublime et silencieuse,
Qui n'avait besoin de proférer ses "on dit",
Comme jadis ces civilisations hasardeuses,
Pour se décréter le plus beau des paradis.
J'ai fait un rêve: une être à la chaire féconde
Qui voulait vivre sur cette île inhabitée
Afin de m'offrir ce plaisir de mettre au monde
Une espèce rare émouvante d'humanité.